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Façade au coeur vide
- N’avez-vous jamais été au numéro 145 de la rue Lafayette? _ - J’avoue que non._ _ - Un peu hors de portée, entre la gare de l’Est et la gare du Nord. Un édifice d’abord indiscernable. Seulement si vous l’observez mieux, vous vous rendez compte que les portes semblent en bois mais sont en fer peint, et que les fenêtres donnent sur des pièces inhabitées depuis des siècles. Jamais une lumière. Mais les gens passent et ne savent pas._ - Ne savent pas quoi? - Que c’est une fausse maison. C’est une façade, une enveloppe sans toit, sans rien à l’intérieur. Vide. Ce n’est que l’orifice d’une cheminée. Elle sert à l’aération ou à évacuer les émanations du RER. Et quand vous le comprenez, vous avez l’impression d’être devant la gueule des Enfers; et que seulement si vous pouviez pénétrer dans ces murs, vous auriez accès au Paris souterrain. Il m’est arrivé de passer des heures et des heures devant ces portes qui masquent la porte des portes, la station de départ pour le voyage au centre de la terre. Pourquoi croyez-vous qu’ils ont fait ça? - Pour aérer le métro, vous avez dit. - Les bouches d’aération suffisaient. Non, c’est devant ces souterrains que je commence à avoir des soupçons. Me comprenez-vous?
Umberto Eco, le Pendule de Foucault (extrait), 1988.