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Poésie du chantier
Le jour se lève. Trois pas qui craquent sur la terre gelée, et le souffle qui s’arrête un peu, sous le nez. L’oeuvre a rêvé toute la nuit et au petit matin, elle reprend ses esprits. Les hommes vont arriver pour la faire devenir.
Au loin, le bruit des moteurs, déjà. Et là, les tiges d’acier crèvent le ciel blanc, Les fils, dans leur costume rétondulé, étendent les araignées, Les fenêtres sont aux nuages.
L’échafaudage, tout clinquant de rosée, grince un peu sous les semelles. Je monte, “pour aller voir”. De quel os est donc faite la belle ? De quel grain se pavane-t-elle déjà, droite et fière, nue et trouée ? Quel est donc son dessein, à cette dame silencieuse ? Vers quel dieu tourne-t-elle son oeil, alors que ses pieds sont dans la boue, la ferraille et la sueur du chantier ? Quelques toussotements, les gants rigides et le mot du jour qui commence, les gars arrivent.
Ils vont la travailler, la bête. Ils vont la marteler et la peigner, figer ses rides et fixer ses membres. Chacun à leur poste, tels de petits génies, ils vont lui donner leur souffle, leur sang, leurs mots. Ils vont marcher cent fois encore entre ses coiffes et ses peaux, forcer encore sur ses doigts mal articulés.
Et la terre crevée, et la dalle de béton, et le linteau de bois, durs de silence, attendent patiemment qu’on leur pose une maison sur le dos.