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L'enjeu capital(es)
Hier au centre Georges Pompidou s’ouvrait le grand balai de conférences dans les pas du Grand Pari(s). Le cycle s’étale sur deux jours et invite quelques grands pontes de l’architecture à débattre des enjeux de la ville d’aujourd’hui. Site officiel : http://metropoles.centrepompidou.fr/
Le plus extraordinaire reste le fait que j’ai pu y participer. Il suffisait de s’inscrire sur internet, gratuitement, et de faire la queue. Arrivée un quart d’heure avant que le spectacle ne commence, j’ai pu profiter des places (les meilleures) des invités absents. On parle théorie, on parle histoire, on parle concept. Mais on parle aussi projets, forme et surtout avenir ! Compte rendu pour ceux qui n’ont pas pu venir.
La matinée s’intitule Mémoires du futur.
Elle commence avec Pier Vittorio Aurelli et son collectif DOGMA. Il explique que la ville grandit selon deux modèles possibles : l’extension ou la compression. L’enjeu du 21è siècle sera de faire les deux en même temps. Il montre quelques projets de concours où, en utilisant une grille, il fixe d’abord les limites, pour cadrer la ville. Par collages surréalistes, viennent ensuite s’y mélanger d’immenses bâtiments blancs, neutres, et d’autres édifices aux caractères les plus divers.
Vient ensuite Luca Galofaro, qui travaille sur le centre-ville. En s’appuyant sur l’exemple de Rome, qui concentre tous les problèmes de la ville contemporaine, il fait une analyse d’un centre-ville déserté, figé par son image, monofonctionel. La proposition est d’y réintroduire du logement et des micro-activités pour le réanimer. Le type de projet est étonnant. Un grand édifice du centre-ville est choisi. Ses façades sont gardées intactes, parce que c’est ce que le bâtiment contient qui est important, et l’intérieur creusé est reconstruit en une architecture très contemporaine. Les balcons et terrasses foisonnent, tournés vers un nouveau jardin intérieur, nouvelle piazza vivante.
Arrive ensuite Bernard Tschumi, à l’écharpe rouge et aux talons claquants. Il nous parle longuement de sa célèbre forme-concept ou concept-forme, les deux parties interagissant et se nourrissant l’une l’autre. Les rapports du global au local sont au coeur des questionnemts de la ville. Il montre par différents projets comment la superposition de grilles lui permet d’assembler différentes idées, programmes, intentions. C’est par la multiplication de simplicités que l’on obtient la complexité. Le nouveau système créé doit alors s’ancrer solidement à l’existant. Dans le dernier projet présenté, le local est conservé, gardé intact, tandis que viennent s’y inscrire des poches ultra contemporaines, des cellules indépendantes de global.
Puis intervient Vittorio Gregotti, qui nous présente sa vision assez pessimiste de la ville d’aujourd’hui. L’image et la mystification de celle-ci tendent à disparaître pour une approche purement économique et technique, où l’homme est exclu des considérations. La mondialisation, nouvelle forme de colonialisme, n’arrange pas cette vision consumériste de l’espace. Pourtant, cette nouvelle dynamique peut être point de départ pour de nouvelles réflexions sur la ville.
En attendant qu’il soit 6h du matin pour le dernier invité, une table ronde réunit les intervenants sur la scène. On parle de la grille, qui doit être vue comme un outil et non comme une fin en soi (Aurelli). Plus encore, est mis en avant le rôle de l’architecte dans le questionnement de la ville, dans la critique de la société qu’il doit faire (Gregotti), dans la diversité des réponses qu’il doit proposer (Galofaro). Selon Tschumi, l’architecte généraliste, au contraire des ingénieurs et techniciens spécialisés, reste celui qui a la largeur de vue nécessaire pour projeter la ville. Il n’en falait pas plus pour enrager ma voisine urbaniste.
Pour finir, par vidéoconférence, le célèbre Peter Eisenman nous lit un texte sur l’état de crise qui peut être considéré comme un retard (lateness) qui , hors du temps, peut se révéler ressource par les questionnements et changements qu’il provoque.
L’après-midi porte sur les Écosophies de l’urbain.
Elle est entamée par le héros de ma journée, James Wines. Je découvre que le livre que j’ai si souvent emprunté à mon école d’architecture est celui de son collectif SITE (architecte qui me restait toujours introuvable…). Après la démonstration d’une série d’architecture-sculptures qui demandent une grande quantité de matière, son intervention porte sur l’économie de moyens comme nouvelle façon de regarder le monde, (…) comme point de départ de création. Le collectif SITE crée avec le contexte qui lui est donné, et insiste sur la notion d’intéraction, de participation des utilisateurs. Les interventions sont frappantes, originales, et engagées avec humour. Ces environnements actifs, lieux de dialogue, sont très fonctionnels par les utilisations qu’ils proposent et le confort qu’ils apportent. Le paysage (et les systèmes écologiques associés) et le bâtiment fusionnent pour la construction de ces espaces. Il nous propose de penser petit, penser détails, penser à l’échelle de l’utilisateur.
Vient ensuite Andrea Branzi, l’un des initateur du collectif de réflexion Archizoom. Comme la ville se forme, déforme, reforme en permanence, comme elle est en perpétuelle évolution, il propose aujourd’hui une nouvelle Charte d’Athènes, en référence à celle proposée en 1933 par Le Corbusier. Cette recherche avance 9 points pour la définition de la ville qui doit être considérée comme : 1. structure qui évolue selon les besoins (a high tech favela). 2. diffusion et instrumentation de l’espace pour une évolution en temps réel (a personal computer every 20sm). 3. hommes et bêtes, morts et vivants, technologique et sacré, … vivent ensemble (a cosmic hospitality). 4. évolutivité plutôt que solution formelle permanente (a weak urbanization). 5. multifonctionalisme (shaded borders and fundaments). 6. réutilisation de la ville (refunctionalize the existing city). 7. stratégies qui entrent dans le quotidien, à l’échelle du domestique (big changes by micro structures). 8. limites de la ville (continuous concave space). 9. énergie débordante, flux reproductif, vérocité sexuelle des humains (generic layer). Puis il nous montre un film à la bande-son monocorde constitué d’images conceptuelles (dont beaucoup sont désormais devenues références), de collages, de projets et de mises en relation entre les différents éléments, plus ou moins organiques, qui composent la ville.
Intervient ensuite Neven Sidor, qui nous rapelle que pour être prudent, si l’on ne veut pas tous mourrir, il faut réduire de 80% notre production de CO2 avant 2050. Il s’agit donc de reconstruire notre infrastructure toute entière, et de repenser notre mode de vie. Il nous présente quelques uns de ses projets novateurs avec une tour qui cultive des légumes et élève des brebis en pleine ville, un parc dont les murs de soutènement produisent de la chaleur par décomposition de matières végétales, un théâtre dont le fond de scène est une machine de désalination, et une ville flottante.
Dans la même fibre technique, Ken Yeang présente ses projets intègrant systématiquement la végétation et présente 5 stratégies, à appliquer à toute démarche de projet, pour dessiner la ville écologique : 1. Mixage des 4 écoinfrastructures (technique et technologie, eau, humains, et nature) en un seul et même système. 2. Biointégration, que ce soit physique, systémique, ou temporel. L’architecture est une prothèse pour l’homme et en tant que telle doit être correctement connectée, intégrée, à lui comme à son environnement. 3. Écomimesis, c’est-à-dire imiter les écosystèmes dont la nature nous montre l’efficacité. 4. Restaurer les écosystèmes que nous avons fragmentés. Reconsidérer les différents milieux comme un seul grand ensemble interconnecté. 5. Gérer les connexions environnementales en considérant les inputs et outputs de chaque construction.
Enfin, le marathon se termine par Adrian Geuze, paysagiste, qui nous dépeint un portrait intéressant de la France et de son idéalisation campagnarde. Par les écrits de Rousseau, les peintures du 19è, les parcs qui sont ensuite construits à Paris, le réseau routier connectant tous les villages français entre eux, le TGV, etc, il nous explique sa vision d’une France qui veut rendre sa campagne toujours plus accessible et qui devrait continuer à construire dans ses parcs publics cette illusion de la campagne en ville.
S’ensuit un débat où il est question de la production de nature. Alors que Branzi insiste sur l’intégration de la question formelle et sociétale dans l’écodesign urbain, Geuze affirme que l’écosophie urbaine prendra du temps en Europe, mais que les mentalités sont déjà en train de changer. Sidor, outré, insiste sur le fait que nous n’avons pas le temps, qu’il s’agit là de la fin de l’espèce humaine. Ken Yeang relativise sur le rôle de l’architecte qui ne peut que proposer de nouvelles solutions et influencer ses clients. Il tient après à chacun de nous de voter, éduquer, consommer intelligemment.
Conclusion
Ainsi se finit cette longue journée de “blabla”. Beaucoup de théorie certes, mais aussi des exemples concrets et des projets d’avant-garde.
Bien que le format soit difficile à digérer (successions d’interventions avec une heure et demie de pause pour déjeuner), les intervenants, aux horizons divers quoique quasiment tous architectes, sont des personnes très intéressantes qui réfléchissent par leurs projets et leurs écrits aux questions sociétales. Le recul que prend ici l’architecte, les questions qu’il pose, la critique qu’il fait de notre monde, sont à mettre en relation avec les espaces qu’il produit dans son travail. Par leur approche très différente des thématiques proposées, ils nous montrent qu’on peut répondre de multiples façons, plus ou moins pertinemment d’ailleurs, aux questions qui nous concernent tous. C’est peut-être par cette diversité des propositions concertées et tolérantes (qui s’adaptent entre elles) que l’on pourra avancer vers une ville soutenable et désirable.
Même si l’architecte n’est pas seul dans la construction de la ville, c’est rassurant de voir que certains d’entre eux assument leur position de recherche et de développement de la société, de la ville et de notre avenir, par l’architecture.